Entretien avec Gérard Noiriel, troisième partie

Gérard Noiriel est historien, actuellement directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Il est l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration en France, notamment grâce à son ouvrage fondateur Le Crucet Français, publié en 1988 (reed. Le Seuil, collection Points Histoire, 1992). Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle), éd Fayard, 2007 ou encore Histoire, théâtre et politique, éd. Agone 2009. Elle soutient le Collectif « La journée sans immigrés 24h sans nous ! » Et nous accorde ici une interview exclusive que nous publions en trois épisodes.

Après avoir expliqué les fondements de la notion d’« identité nationale »  dans une première partie , Gérard Noiriel  s’est ensuite approché pour le collectif « LJSI : 24h sans nous ! » les défis posés par la construction de certaines catégories de pensée comme les « immigrés », « l’intégration », les « valeurs républicaines ». Dans cette dernière partie, Gérard Noiriel revient sur notre initiative et exprime son soutien au collectif et aux membres de « La journée sans immigrés : 24h sans nous !

Troisième partie:
« Le retrait de la vie économique est le mode d’action
qui se rapproche le plus de la vérité de l’immigration »

LJSI : Pourquoi les mobilisations des immigrés ou de leurs descendants se sont-elles développées dans le passé, et je pense notamment à la Marche pour l’égalité de 1983, n’ont pas changé les choses ?

Gérard Noiriel : Les forces luttant contre le pouvoir s’inscrivent dans une logique de résistance, sauf en période révolutionnaire. On ne peut pas rendre un mouvement social responsable des limites de son action, face à des pouvoirs aussi développés et structurés. C’est dans les années 1980 que se met en place la logique médiatique évoquée plus haut, le rouleau compresseur qui impose l’image des « Beurs ».

Avec le recul, on ne peut pas non plus dire que ces mouvements n’ont pas fait avancer les choses. Certaines expressions que nous avons entendues dans le passé ne seraient plus prononcées aujourd’hui. Je me souviens d’un reportage du Figaro à l’époque de la guerre du Golfe où le journaliste se rendait en banlieue pour interroger les jeunes sur leur fidélité à Saddam Hussein. Je vois déjà un changement entre le débat sur l’identité nationale de 2007 et le débat actuel. Il est réconfortant de constater que les trois quarts des Français la dénoncent comme une manœuvre électorale. En 2007, Sarkozy a remporté la chanson facilement.

On peut donc se dire que même si on ne remporte pas les victoires, on peut faire en sorte que la résistance porte certains fruits.

« La politique ne se contente pas de répondre à Sarkozy »

L’autre point est l’importance de transmettre les traditions de luttes. Ce genre de mouvement transmet des modèles de luttes aux groupes qui sont soumis à ces politiques. Il est très important qu’au lieu de s’enfermer dans la victimisation, source de ressentiment (« nous sommes toujours les victimes », « nous ne sommes pas aimés », etc.), ils transforment cela en action. Nous avons des études là-dessus : les personnes qui souffrent le plus sont celles qui sont enfermées dans le statut de victimes. Ceux qui réussissent à transformer leur souffrance en action s’en sortent beaucoup mieux.

Les mouvements de résistance jouent donc aussi un rôle à ce niveau. La politique ne répond pas simplement à Sarkozy. C’est aussi se demander ce qu’on fait là, où on est, l’exemple qu’on donne aux autres.

LJSI : L’initiative « LJSI : 24h sans nous ! » Est très proche de ce qu’Abdelmalek Sayad a développé, que vous reprenez aussi, selon qui le travail fait l’immigré et que l’absence de travail amène l’immigré au non-être. Pensez-vous que le retrait de la vie économique que nous réclamons pour le 1er mars puisse être efficace ?

Gérard Noiriel : C’est à mes yeux le mode d’action qui se rapproche le plus de la vérité de l’immigration. En ce sens que, comme l’a effectivement souligné Sayad, l’immigration est toujours liée au travail. Le couple « immigration-travail » est actuellement occulté puisque dans le discours des droits, l’immigration est exclusivement rattachée à la notion d’« illégal » ou de « terroriste ».

D’autre part, le mode d’action le plus efficace, le plus légitime de la part des travailleurs est la grève. Dans votre initiative, on retrouve cette logique : « immigration » = « travail » donc « grève ».

Après, la stratégie est-elle suffisamment élaborée pour que la journée soit une réussite ? Ce sera à vous de le dire.

Une journée sans nous, mais avec tout le monde.

Angélique del Rey, professeur de philosophie et Miguel Benasayag , philosophe et psychanalyste, ont adressé au collectif « La journée sans immigrés 24h sans nous » un texte de soutien. Ils nous proposent de voir ce que pourrait être le 1er mars 2010. Nous vous souhaitons une bonne lecture.

« Un jour sans nous est une proposition et une invitation à la solidarité , à la résistance contre l’apartheid endémique, à une prise de conscience joyeuse que ‘la société c’est tout le monde’. C’est pourquoi nous lui souhaitons du bonheur, loin d’une certaine tristesse militante.

Une journée sans nous est pour tout le monde. Nous souhaitons préparer et développer cette initiative, sous les formes de ce qu’on appelle le nouveau type d’engagement, horizontal, sans centre, ou avec « un centre qui est partout, et la circonférence nulle part.  » Un réseau et un rizhome.

En bref : pour être unis, nous n’avons pas besoin de bureaux politiques ou de comités centraux. C’est une expérience d’horizontalité et d’initiatives partagées. C’est pourquoi, sur la proposition de quelques-uns qui s’adressent à ceux qui se sentent touchés, nous vous invitons à faire vôtre cet appel, à développer des initiatives là où cela vous semble bon, et quand cela vous semble bon. autour de cette invitation.

Que les initiateurs soient débordés, c’est ce qui sera toujours une bonne nouvelle.

Dans votre université, lycée, dans votre quartier ou lieu de travail, ou dans des formes ou dans des lieux que l’on n’imagine pas, faisons de cette journée sans nous vraiment une journée avec tout le monde.

Pour que personne ne se sente non autorisé ou en attente d’autorisation, car il n’y a pas d’autorisateur qui autorise. Il n’y a pas de petit ou de grand, d’important ou de périphérique. Nous sommes convaincus que dans ce pays, nous sommes forcément nombreux à refuser de toutes nos forces le cauchemar d’une société divisée en forteresses et no man’s land.

Il ne s’agit donc pas aujourd’hui d’être solidaire de qui que ce soit, mais de déployer des liens de solidarité comme structure et mode de fonctionnement. Qu’il n’y ait pas de maîtres libérateurs dans les mouvements d’un type nouveau, loin de soulever une faiblesse que certains regrettent, c’est ce qui donne force, joie et puissance à ce mouvement.

Pour une journée sans nous, avec nous et avec tous.

Entretien avec Gérard Noiriel, deuxième partie

Gérard Noiriel est un
historienne, actuellement directrice d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Il est l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration en France, notamment grâce à son ouvrage fondateur Le Crucet Français, publié en 1988 (reed. Le Seuil, collection Points Histoire, 1992). Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle), éd Fayard, 2007 ou encore Histoire, théâtre et politique, éd. Agone 2009. Elle soutient le Collectif « La journée sans immigrés 24h sans nous ! » Et nous accorde ici une interview exclusive que nous publions en trois épisodes.

Dans la première partie de cet entretien, Gérard Noiriel est revenu sur la notion d’« Identité nationale », sa genèse et son usage. Dans le prolongement de ses réflexions, l’historien aborde les questions soulevées par la construction de certaines catégories de pensée telles que «  » immigrés « ,  » intégration « ,  » valeurs républicaines « …

Deuxième partie :

Immigrés, intégration, valeurs :

« la question de la langue est fondamentale »


LJSI : Comment expliquer cette permanence du nom « immigré » ou « issu de l’immigration » pour nommer des personnes qui sont françaises ? Et quels peuvent être les effets de ce genre d’expression sur les individus ainsi nommés ?

G. Noiriel : On retrouve ici cette question du langage qui est, je vous l’ai dit, fondamentale à mes yeux. Personnellement, je préfère utiliser le mot « immigrant » à celui d’« immigrant ». Pourquoi ? Car « immigrant » renvoie à l’expérience migratoire américaine. L’histoire des USA et celle de la France s’opposent dans le fait que pour les premiers, les migrants ont participé à la construction nationale ; tandis que dans le second pays, la construction de la Nation, amorcée avant la Révolution française et relancée à la fin du XIXe siècle, précède les premières vagues d’immigration étrangère. Utiliser le mot « immigré » est donc à mon sens préférable car il renvoie davantage au statut d’acteur, d’acteur de la construction du pays.

Au tournant des années 1990, l’Institut national d’études démographiques (INED) s’est emparé du mot « immigré » pour lui donner un sens administratif [. Au sens de l’INED, un immigré est un étranger qui a voyagé entre deux pays, quelqu’un qui a franchi la frontière entre deux États. Or, aujourd’hui, le mot « immigré » n’a plus de sens dans la plupart des cas puisque c’est le terme qui sert à stigmatiser les personnes nées en France, qui sont françaises. Ce sont des tics de langage, que l’on retrouve notamment chez les journalistes, et qui se sont développés depuis les années 1980. Des tics de langage qu’il faut absolument combattre.

LJSI : A vos yeux et au regard de l’histoire, quels pourraient être les effets sur la société française de tout ce débat sur l’identité nationale et l’immigration ?

G. Noiriel : Les effets de ce débat identitaire sont de générer et renforcer des fantasmes sécuritaires chez une partie de la population française : le thème de l’invasion lié au minaret par exemple. D’autre part, les groupes ainsi constamment pointés ont tendance à se replier sur eux-mêmes. C’est ainsi que se renforce la logique de séparation nationale entre « eux » et « nous », qui fait partie des affaires de droite.

LJSI : Nous sommes d’accord pour parler de « l’échec de l’intégration ». A gauche comme à droite, on parle d’un retour aux valeurs républicaines, aux valeurs de la république. Ne sommes-nous pas ici dans une sorte de fétichisme républicain ?

G. Noiriel : Dire qu’il y aurait un échec du mode d’intégration est un non-sens pour moi, ça ne veut rien dire. Il n’y a pas plus de repli communautaire aujourd’hui en France qu’il y a cinquante ou cent ans. Ce qui a changé, c’est que les représentants de l’État républicain ont tendance à « ethniciser » leurs discours, définissant les gens par leur origine « arabe », leur couleur de peau « de minorité visible » et non plus par leur position sociale. , comme la République française a eu l’honneur de le faire auparavant. Et ce qui est bradé dans ce débat sur l’échec de l’intégration, c’est justement la définition sociale des individus. Prenons les « travailleurs immigrés », que nous utilisions couramment jusque dans les années 1980, cette notion de « travailleurs » a été supprimée pour ne garder que les « immigrants ».

Alors ceux qui prétendent que le modèle républicain ne fonctionne plus face à « l’échec de l’intégration » sont en fait les premiers à le brader. Car le modèle républicain est avant tout un modèle social, qui ne veut pas que les gens soient définis par leurs origines. (J’écarte ici la question coloniale qui invalidait d’emblée ce « modèle » républicain).

« Dire qu’il y aurait un échec du mode d’intégration est pour moi un non-sens »

Avec la « fétichisation » de la République, comme vous le dites, vous abordez un autre aspect qui mérite d’être critiqué. La république est un système politique qui est aussi un système politique de domination ; dans lequel vous avez des exclusions qui ont été légitimées. Domination de classe et domination masculine en particulier. Regardez J ules Ferry . Il a justifié la colonisation au nom de la supériorité de th

e « Race française ». Il existe un discours célèbre de Jules Ferry en 1885, légitimant la conquête militaire du Tonkin au nom des droits et devoirs de la « race supérieure » sur les « races inférieures » 1 . Il faut donc analyser la République dans ses contradictions.

Dans ce débat sur l’identité nationale, les valeurs républicaines sont exhibées comme si elles avaient toujours existé et qu’elles avaient été partagées par tous. Nous, chercheurs, rejetons totalement cela. Il n’y a pas un seul historien digne de ce nom qui puisse analyser l’histoire de la République au seul prisme des « valeurs républicaines ». Ce qu’on appelle aujourd’hui les valeurs républicaines étaient issues des luttes d’hier. Ils ont été au centre, à différentes époques, de conflits sociaux.

Enfin, il y a toute une série de valeurs qui sont complètement occultées, notamment le droit d’asile. La France a été le premier pays au monde à reconnaître le droit d’asile en 1793. J’entends peu M. Besson parler de cette valeur.

1 Discours « les fondements de la politique coloniale » prononcé par Jules Ferry à la Chambre des députés le 28 juillet 1885. Extrait : « Il y a un deuxième point que je dois aborder… : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Le les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a un droit pour eux parce qu’il y a un devoir pour eux. Ils ont le devoir de civiliser les races inférieures. « 

LJSI : Selon vous, la nouvelle ligne de partage entre « eux » et « nous » se construit donc autour des valeurs républicaines ?

G. Noiriel : Oui, maintenant l’offensive est là : « nous » la France est le pays des libertés, de l’égalité, de la laïcité, des valeurs républicaines présentées comme étant à la fois françaises et universelles (sic). Alors nous Français voulons accueillir tout le monde, mais à condition que les étrangers respectent ces valeurs puisqu’elles sont universelles. C’est donc un « nous » universel mais qui exclut tout de même. Et qui exclut-il ? Il exclut… Ceux qui excluent. Voyez-vous la rhétorique? Et ceux qui excluent, qui sont-ils ? Ce sont les islamistes, ceux qui obligent les femmes à porter la burqa, les polygames. C’est pourquoi l’un des enjeux majeurs de ce discours identitaire aujourd’hui est la question des femmes.

Cette rhétorique fonctionne sur la base de l’évidence, du bon sens. Si vous critiquez la stigmatisation des musulmans, on vous dit : comment êtes-vous pour la burqa, pour l’excision ?

LJSI : Vous avez évoqué tout à l’heure un lien entre la stigmatisation des immigrés et la colonisation. En effet, en replaçant le débat dans une perspective historique, toutes les vagues migratoires ont-elles posé le même problème à la France ?

G. Noiriel : On a le sentiment que le débat actuel sur l’identité nationale se réfère à une certaine catégorie d’immigrés, et notamment ceux originaires des anciennes colonies.

Je suis assez critique à l’égard des thèses postcolonialistes. Je trouve réducteur de croire que la question de l’immigration ne se poserait que par rapport aux groupes de l’ancien empire colonial. On sait par exemple que ceux qui font aujourd’hui l’objet du refus le plus ferme sont les Roms de Roumanie, pays européen.

Par ailleurs, on constate que dans les pays européens qui n’avaient pas de tradition coloniale, on retrouve des logiques identiques à celle qui se développe en France.

Évidemment, cela ne veut pas dire que les questions d’aujourd’hui n’ont pas à voir avec l’histoire coloniale. Mais ce qui est important, c’est de percevoir la logique de fabrication étatique d’éléments, de fantasmes, alimentés par des vecteurs différents. Nous avons affaire à une matrice qui peut se renouveler de génération en génération. Quand vous voyez ce qui se disait sur les Juifs allemands dans les années 1930, il y a beaucoup de choses qui ressemblent à ce que vous entendez à propos des musulmans aujourd’hui.

« C’est pourquoi la question sociale doit toujours être liée à la question migratoire »

Ma critique des thèses postcoloniales n’infirme pas non plus le fait que l’héritage colonial puisse jouer un rôle dans le vote xénophobe. Pour un certain nombre de personnes, la guerre d’Algérie ou encore toutes les représentations qui se sont construites à l’époque coloniale, peuvent encore jouer un rôle. Mais plus le temps passe, moins c’est vrai.

Je pense qu’il ne faut pas réduire la question de l’immigration aux questions postcoloniales car le risque est de se faire piéger. La politique identitaire de droite cible à la fois la « majorité » et la « minorité ». Nous avons mis en avant quelques représentants de ces derniers pour montrer à la télévision une démocratisation « visible » qui masque la réalité : à savoir une aggravation des inégalités sociales. Ce n’est pas par hasard que l’Institut Montaigne a organisé le colloque sur « l’identité nationale » le 4 décembre 2009 2. La stratégie des grands capitalistes est justement de créer la logique des minorités. C’est extrêmement pernicieux car un certain nombre d’élites issues de ces groupes dits « minoritaires » ont intérêt à jouer à ce jeu. Ils deviennent, comme c’est le cas aujourd’hui, ceux qui acceptent de venir au gouvernement, les pour promouvoir des politiques socialement conservatrices, au service des plus riches (cf. le

bouclier fiscal). C’est pourquoi il faut toujours lier la question sociale à la question migratoire. Si nous cachons le problème social, nous sommes perdants. La dimension coloniale a donc sa place, mais c’est un élément d’un tout.

Colloque sur « l’identité nationale » organisé le 4 décembre 2009.

Entretien avec Gérard Noiriel, première partie

Gérard Noiriel est historien, actuellement directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Il est l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration en France, notamment grâce à son ouvrage fondateur Le Crucet Français, publié en 1988 (reed. Le Seuil, collection Points Histoire, 1992). Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle), éd Fayard, 2007 ou Histoire, théâtre et politique, éd. Agone 2009. Elle soutient le Collectif « La journée sans immigrés 24h sans nous ! » Et nous accorde ici une interview exclusive que nous publions en trois épisodes.


Partie 1 : Examen
du concept d’« identité nationale »

LJSI : Dans une tribune du Monde écrite avec Stéphane Beaud en réaction aux propos tenus par Brice Hortefeux en septembre dernier, puis dans l’appel que vous avez signé avec d’autres chercheurs pour la suppression du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et de la coopération, vous mobilisez la notion de « politique identitaire », de « pouvoir identitaire ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?

G. Noiriel : Dans une démocratie, entendue au sens large, c’est-à-dire où il y a liberté d’expression, de partis etc., on voit que le pouvoir politique n’a plus le pouvoir d’« imposer ses réponses, mais il peut imposer ses questions. C’est là que réside l’un des principaux défis du pouvoir politique. Aujourd’hui, par exemple, on sait que si la question sociale est à l’agenda politique, elle servira plutôt la gauche ou l’extrême gauche. Mais si c’est national, sécuritaire etc. ce sera le droit qui sera privilégié.

« Il y a une véritable ‘déréalisation’ de la politique. « 

Dans ce cas, l’avantage de politiser l’identité est qu’elle divise des gens qui ont par ailleurs des intérêts communs. A partir de la fin du XIXe siècle, en France, lorsque le mouvement ouvrier devient puissant, lorsque les grèves se multiplient, lorsque la peur d’une nouvelle révolution sociale s’installe, le nationalisme, lié notamment à l’antisémitisme, s’institutionnalise. En ce sens, le pouvoir identitaire est une structure politique qui se perpétue en prenant, à chaque génération, une forme différente. A l’époque dont je parlais, la haine des étrangers grandissait sur fond de menace de guerre mondiale. Aujourd’hui, nous n’avons même plus ce prétexte puisque nous sommes dans un contexte de société apaisée. Il faut alors sans cesse inventer des fables sur l’islam, sur des femmes voilées qui menaceraient l’État français. Tout devient une question de symboles construits à partir de ce que les gens voient à la télévision tous les jours. Il y a une véritable « déréalisation » de la politique. En même temps, cette politique a des effets bien réels, puisqu’elle contribue grandement à la stigmatisation des musulmans.

LJSI : Votre travail montre que la question de l’identité nationale a été l’invention et la propriété politique à une époque du Front national, puis glissé dans le champ de la droite républicaine.
Comment percevez-vous ce glissement et le fait que les partis républicains, à droite comme à gauche, aient progressivement adopté ce thème ?

G.Noiriel : En effet, le débat sur l’identité nationale, qui nous est présenté comme un débat neutre, place les thèmes du Front national au premier plan de la scène politique, puisque c’est ce parti qui a mis en circulation, au début années 1980, cette expression récupérée par la « droite républicaine », comme on dit.
Revenons à ces mots forgés dans un concept politique : « identité nationale ». Les mots sont importants parce que les mots véhiculent des représentations. Dans le cas français, l’expression « identité nationale » a été mise en circulation par le FN. J’ai écrit un petit livre en 2007, A quoi sert l’identité nationale ? , dans laquelle je l’ai montré, preuves à l’appui.

Dès son apparition aux mains des FN, l’expression « identité nationale » est liée à l’immigration. Ce n’est pas nous, les chercheurs, qui avons inventé cela ou qui essayons de faire semblant. Voici donc le piège : l’expression « identité nationale » porte, par définition, une exclusion qu’elle soit explicitement nommée ou qu’elle soit implicitement désignée. La droite républicaine a repris cette formule et l’a légitimée en présentant constamment l’islam comme une menace (voir les discours incessants sur le terrorisme, la burqa, etc.). Le simple fait d’accepter un « débat » sur « l’identité nationale », c’est endosser ce type de réflexe. C’est pourquoi notre collectif : Pour la suppression du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, propose de changer le débat en posant la question de la légitimité de ce ministère.

« Quand il n’y avait que le Front National pour parler cette langue identitaire,
on s’est dit : c’est le vocabulaire des extrémistes, des aventuriers de la politique »

G. Noiriel : Cette légitimation du concept d’identité nationale par la droite républicaine est dangereuse car quand il n’y avait que le Front national pour parler cette langue de l’identité, on se disait : c’est le vocabulaire des extrémistes, des aventuriers. de la politique, qui cherchent à occuper le terrain en faisant bl

ows, en prenant des risques avec des concepts politiques un peu chauds. Pourquoi a-t-il tant fonctionné que les partis républicains prennent le relais ? En effet, le nationalisme aujourd’hui ne met plus en péril les fondements de la démocratie. Ses effets sont ciblés sur la population immigrée et sur les minorités. Nous avons du mal à sensibiliser la majorité des citoyens car ils ne se sentent pas directement menacés par ce nationalisme, comme ce fut le cas dans les années 1930,

Avec la mise en place d’un ministère dont l’intitulé mêle « identité nationale » et « immigration », le virage dont nous parlions s’est radicalisé. En 2007, j’ai démissionné avec 7 collègues du conseil scientifique de la Cité nationale d’histoire de l’immigration pour manifester contre ce ministère. Nous avons fait une pétition qui a recueilli plus de 15 000 signatures. Mais cela n’a pas déclenché un mouvement durable.

LJSI : Pensez-vous donc que la notion d’identité nationale présentée d’une part par Le Pen et d’autre part actuellement par le gouvernement soient de même nature ?

G.Noiriel : Non, on ne peut pas dire que c’est équivalent, car en politique chaque parti cherche à occuper son propre espace, en se positionnant par rapport aux autres. Le FN n’est pas l’UMP et chacun utilise des ressorts différents pour faire fonctionner cette idéologie le plus efficacement possible. Chaque parti politique occupe une niche. En ce sens, Sarkozy est obligé de prendre ses distances avec Le Pen.

Tout le problème aujourd’hui pour l’UMP est d’utiliser un vocabulaire politique dit « correct » pour échapper à l’accusation de racisme (qui la couperait de l’électorat centriste), tout en donnant des gages à l’électorat. lépéniste. Pour contrebalancer la politique identitaire nationale évoquée plus haut, la droite prône désormais la « diversité », mettant en avant les personnes d’origine immigrée. Du clivage entre les « immigrés » et les « natifs français » des années 1980, la dénonciation s’est déplacée pour désigner les bons immigrés d’hier et les mauvais d’aujourd’hui.

« Du clivage entre les « immigrés » et les « français natifs » des années 1980,
la dénonciation s’est déplacée, avec l’apologie de la diversité,
pour désigner les bons immigrants du passé et les mauvais d’aujourd’hui. « 

G.Noiriel : L’UMP et le gouvernement ne rejettent plus l’immigration dans son ensemble et se déclarent même en faveur de la diversité. Sarkozy se présente d’ailleurs comme étant de « sang mêlé ». Mais cette utilisation du thème de la « diversité » ou des « minorités visibles » n’empêche pas ce pouvoir d’utiliser la matrice identitaire comme instrument discriminatoire. Pointez toujours du doigt l’étranger menaçant. C’est la fonction actuelle des discours « burqa ».
La manière dont le problème de la burqa a été brandi permet de voir comment fonctionne ce que j’appelle la « politique des réflexes conditionnés ». De ce symbole est liée une association d’idées et d’images qui alimentent le rejet de l’immigration : burqa -> voile -> islam -> étrangers -> immigrés -> menace aux « valeurs républicaines ».

Ce sont ces automatismes que nous avons mis en évidence avec Stéphane Beaud, à propos du « dérapage » de Brice Hortefeux. Lorsqu’ils pensent être dans un contexte privé, ces politiciens laissent libre cours aux blagues, révélant leur inconscient. Ce sont des associations d’idées. Il n’y a même pas besoin de discours articulés.

Pascal Blanchard, immigrés français. ERNEST

Pascal Blanchard est un historien français, président de l’ACHAC (Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine). Il est spécialisé dans l’immigration du « Sud » en France et dans l’histoire coloniale. Acteur des débats contemporains, il a notamment publié De indigène (1998), La fracture coloniale (2005) et réalisé une série de documentaires télévisés : Human Zoos (2002), Des noirs en couleurs (2008).

[Publié avec la permission de Pascal Blanchard]

Brève histoire de l'immigration en France

La France a été l’un des tout premiers pays d’immigration au monde entre les années 1880 et les années 1980.

Fin du XIXe siècle : le temps des voisins

Sous le Second Empire (1851-1870), on assiste à une forte accélération de l’immigration en provenance des pays voisins sous le double effet des progrès des transports (notamment le chemin de fer) et des traités de libre-échange signés avec la Belgique et la Grande-Bretagne. La population étrangère double entre 1851 (381 000 personnes) et 1866 (655 000 pour une population totale de 38 millions d’habitants). A cette époque, la notion de nationalité telle que nous l’entendions n’était pas figée et c’était plutôt le clivage rural/urbain qui était déterminant. Les migrants de Bretagne ou de Creuse sont perçus par les Parisiens comme des « barbares » au même titre que les Piémontais ou les Flamands et souffrent tout autant de stéréotypes.
L’éclatement des années 1880. La population étrangère double à nouveau entre 1872 et 1886. A cette date, elle atteint 1,2 million de personnes, chiffre qui reste à peu près stable jusqu’en 1914. Elle permet de combler de graves pénuries de main-d’œuvre. du travail (deuxième révolution industrielle). Cela n’empêche pas la crise économique (Grande Dépression 1873-1895) d’exacerber la concurrence entre étrangers et nationaux dans certaines régions, notamment frontalières, et dans certains secteurs d’activité (BTP). De multiples violences éclatèrent au cours des années 1880-1890 et firent de nombreuses victimes. C’est le cas des salines d’Aigues-Mortes en août 1893 : 8 Italiens tués, une cinquantaine de blessés.
Parallèlement, la première loi sur la nationalité française est adoptée en 1889 (loi foncière et recensement des étrangers). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les migrations sont restées à la frontière. Les deux principales nationalités enregistrées en France au début du XXe siècle sont d’une part les Belges, d’autre part les Italiens.

Le tournant de la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale est un moment charnière dans l’histoire de l’immigration. Etant donné que des hommes valides sont au front (à leurs côtés combattront 600 000 soldats des colonies), le déficit de main-d’œuvre s’aggrave fortement, ce qui nécessite le recrutement collectif de travailleurs des pays alliés mais aussi de l’empire colonial : 440 000 travailleurs étrangers et 225 000 travailleurs coloniaux (plus d’un tiers venant d’Algérie). Dès le départ, il était clair pour les autorités que les « natifs » des colonies ne représentaient pas une source durable de recrutement. La plupart d’entre eux ont été rapatriés en 1919.
La politique de recrutement organisé des immigrés (immigration « choisie » en quelque sorte) a été réactivée au cours des années 1920 dans un contexte de reconstruction du pays et de manque de main-d’œuvre. La règle qui s’impose alors est d’écarter les « races antagonistes » (les Allemands) et les « races inférieures » (« indigènes » des colonies). Aux immigrés « choisis » s’opposent ceux que l’on appelle « indésirables ». A la fin des années 1920, la France comptait plus de 3 millions d’étrangers. C’était alors le plus grand pays d’immigration au monde.
Les Italiens, qui sont passés devant les Belges, forment désormais la première communauté étrangère en France. Ils sont restés en tête jusqu’au début des années 1960. Nouveauté de cette période : l’arrivée d’immigrants en provenance des pays d’Europe centrale et orientale. En 10 ans, 500 000 Polonais ont été recrutés. L’entre-deux-guerres a été une période très importante dans le domaine du droit d’asile. La France devient la principale terre d’accueil des réfugiés : plusieurs centaines de milliers de Russes, d’Italiens antifascistes, d’Arméniens, victimes du nazisme et du franquisme.

Le tournant colonial et les Trente Glorieuses

Pendant le boom d’après-guerre, les entreprises ont fortement recours à l’immigration. Entre 1946 et 1954, la population étrangère n’a guère augmenté. Le nombre de Belges, Polonais et Espagnols est même en baisse. Celui des Italiens a augmenté de 10 % (50 000 personnes). La seule augmentation spectaculaire concerne les Algériens, dont les effectifs sont multipliés par 10 (de 22 000 à 210 000).
Entre 1962 et 1965, le taux d’immigration atteint un niveau que la France n’avait jamais connu ; mais désormais les pouvoirs publics cherchent à ralentir le mouvement. Certes, entre 1962 et 1982, la population algérienne enregistrée en France passe de 350 000 à plus de 800 000 personnes. Cette augmentation est proportionnellement inférieure à celle des Portugais, groupe qui a connu la plus forte augmentation : 90 000 personnes en 1962, 760 000 en 1982. Parallèlement, on assiste à un recours aux travailleurs marocains (de 31 000 à plus de 440 000 en 20 ans) et tunisiens (de 26 000 à 190 000). Au cours de la même période, il y a eu une forte croissance de l’immigration en provenance d’autres pays africains (17 000 en 1962 ; 157 000 en 1982).

Jusqu’à nos jours

Au début des années 1970, l’État français s’est engagé dans une politique de « contrôle des flux » (octroi d’un titre de séjour soumis à autorisation de travail en 1972, cessation de l’immigration de travail salarié en 1974) renforcée par la crise économique consécutive au pétrole chocs. Depuis cette date, seuls les étrangers concernentnés par le regroupement familial et les demandeurs d’asile ont été autorisés à s’installer en France. La population étrangère a faiblement augmenté entre 1975 et 1982 (de 3,4 à 3,7 millions de personnes), puis elle a diminué régulièrement pour atteindre 3,3 millions d’individus en 1999. Une des raisons de cet affaiblissement est due à l’accélération du phénomène des naturalisations. immigrants arrivés entre 1950 et 1975.
Les inégalités entre Français et étrangers restent criantes. En 1999, près de la moitié des travailleurs étrangers étaient des travailleurs contre un quart des Français de naissance. Concernant le chômage, en 2002, 8,3 % des Français étaient demandeurs d’emploi contre ¼ des actifs non ressortissants d’un Etat de l’Union européenne. Parmi les jeunes appartenant à ce dernier groupe, le taux de chômage atteint 36 %.

Code d'entrée et de séjour des étrangers et droit d'asile

En droit français, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA, parfois appelé code des étrangers, est le code regroupant les dispositions législatives et réglementaires relatives au droit des étrangers.

Il a été créé en 2004 à l’initiative de Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur et de Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, notamment en reprenant les dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour. des étrangers en France. Il est entré en vigueur le 1er mars 2005. La partie réglementaire a été publiée le 15 novembre 2006